La bête à 7 têtes
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La Bête à Sept Têtes

 

Il y avait autrefois une femme qui était grosse et qui ne pensait qu'à une chose au monde: elle avait une envie folle de manger du poisson rouge. Comme son mari n'en possédait point dans son vivier, elle le tourmenta si bien qu'il résolut d'aller en pêcher dans la rivière.

 

Il pêcha toute la journée, sans pouvoir attraper le plus menu fretin, et il pensait déjà rentrer chez lui les mains vides, lorsqu'il tira hors de l'eau un tout petit poisson de la grosseur d'un goujon. Quelles ne furent pas sa surprise et sa joie en voyant que c'était un poisson rouge.

- Voilà qui termine fort heureusement ma journée, dit-il, ma femme pourra donc satisfaire son envie.

Mais le poisson lui répondit:

- Que feras-tu de moi? Tu n'en auras pas seulement pour une bouchée. Remets moi dans l'eau et je t'indiquerai un endroit où tu pourras prendre autant de poissons que tu voudras.

- Vraiment, répliqua l'homme, tu es si petit, si petit, que ma femme ne satisferait point son envie, en faisant maigre chère à ce point: elle se régalera bien davantage d'un plat de belles carpes.

Et il le rejeta dans la rivière.

Le petit poisson lui indiqua un endroit d'où il retira les plus belles carpes qu'on ait jamais vues.

 

Il en prit un plein sac, rentra chez lui, et raconta vite à sa femme les incidents de sa pêche merveilleuse.

- Je ne veux pas de ces poissons gris, - répartit la femme, le visage empourpré de colère- ; je ne veux que du poisson rouge: tu le sais bien. Demain tu retourneras chercher celui que tu avais pris aujourd'hui; si petit qu'il soit je m'en contenterai et n'en veux pas manger d'autre.

Le lendemain, de grand matin, l'homme s'en vint sur les bords de la rivière et finit par reprendre le petit poisson rouge.

- Ah! Cette fois, tu veux donc me manger? dit le pauvre avorton.

- Ce n'est pas moi -répondit l'homme - c'est ma femme.

- Eh! bien, puisque je ne peux pas empêcher ce qui doit m'arriver, écoute ce que je vais te dire: fais manger ma chair à ta femme, donne mes entrailles à ta chienne qui va mettre bas, donne ma tête à ta jument qui va "pouliner" et enterre ma queue dans ton jardin.

 

L'homme fit tout cela. Quand la femme accoucha elle eut trois fils, la jument trois poulains et la chienne trois petits chiens.

Les trois fils se ressemblèrent tellement que de leur vie il fut impossible de les distinguer; les trois poulains se ressemblèrent de la même façon, et aussi les trois chiens qu'on appela Brise-Fer, Mâche-Fer et Va-Comme-le-Vent.

Et dans le jardin, à la place où l'on avait enterré la queue du poisson rouge, il poussa un laurier à trois branches, mais dont chaque branche n'avait qu'une feuille. Il avait aussi trois racines et au pied de chacune d'elles se trouva un sabre d'un merveilleux travail.

Les trois fils étant devenus grands, chacun d'eux choisit l'un des trois sabres, l'un des trois chevaux et l'un des trois chiens. L'aîné eut Brise-Fer, le second eut Mâche-Fer et le dernier eut Va-Comme-le-Vent.

 

Un jour, l'aîné des fils dit à son père:

- Mon père, je veux aller voir la Grande Ville du Roi: on dit qu'elle est si belle! Je suis impatient de la visiter.

Puis l'emmenant dans le jardin, au pied du laurier à trois feuilles, il ajouta:

- Si l'une des feuilles de ce laurier vient à se faner, ce sera signe que je me trouve en grand danger; et si la feuille tombe, je serai mort.

Cela dit, il prend son sabre, monte sur son cheval, et suivi de Brise-Fer, il part pour la Grande Ville du Roi.

 

Lorsqu'il y arriva, toutes les cloches sonnaient le glas des morts; on voyait toutes les rues tendues de noir, des draps noirs masquaient toutes les maisons, et à toutes les fenêtres pendaient des voiles de crêpe.

Il entre dans une auberge, débride son cheval et s'adresse à son hôte:

- On m'avait dit que la Grande Ville du Roi était si belle, si belle! Mais je n'y vois rien de très beau, car on n'y rencontre que des deuils et des gens en pleurs.

- De quel pays venez-vous donc, répondit l'hôte, que vous ne connaissez pas le malheur de la ville? C'est aujourd'hui que la fille du roi doit-être dévorée par la Bête à Sept Têtes. Le monstre va sortir de la forêt d'un moment à l'autre pour se jeter sur sa proie: c'est la rançon de tout le royaume. La pauvre princesse est à l'église où elle prie Dieu de lui envoyer un sauveur. Le Roi a publié une proclamation disant qu'il donnerait sa fille en mariage à celui qui tuerait la Bête; mais personne n'ose essayer de combattre car tous ceux qui l'ont entrepris ont été dévorés.

 

A peine le jeune homme eut-il entendu ces paroles qu'il courut droit à l'église où il trouva la fille du Roi prosternée au pied de l'autel, pendant que les cloches sonnaient le glas des morts.

- Je suis le sauveur que vous attendez, lui dit-il. Venez avec moi, et si le ciel me vient en aide je tuerai la Bête à Sept Têtes sous vos yeux.

- Partons ensemble, répondit la fille du Roi. Tenez! Voici le secours que le ciel nous réserve; prenez la Sainte Étole! Et partons! Mais que personne ne nous voie, car mon père ne souffrirait pas que je marche au devant de la mort.

 

Il prit la Sainte Étole et, suivi du chien Brise-Fer, il sortit de la ville en secret avec la princesse. Ensemble, ils s'enfoncèrent dans la forêt.

Tout à coup la Bête se précipita sur eux, ouvrant ses sept gueules enflammées et dardant ses sept langues; du feu sortait aussi de ses naseaux dilatés. Mais une horrible frayeur contracta les sept têtes du monstre lorsque le jeune homme revêtu de la Sainte Étole, tira son sabre du fourreau en s'écriant: « Va, Brise-Fer, prend la Bête avec tes dents. »

D'un bond le chien s'élance et lui dévore la queue pendant que son maître donne de grands coups de sabre. Chaque fois il abattait une tête.

Quand les sept têtes furent coupées il enleva les sept langues et dit à la princesse: « Donnez-moi votre mouchoir brodé que j'y mette ces langues; je veux les porter à mon père en témoignage de ma victoire. Dans un an et un jour je reviendrai de mon pays, et, suivant les promesses du Roi, je vous épouserai. Attendez l'expiration de ce délai et gardez-moi votre foi. »

La laissant alors effectuer toute seule son retour à la ville, le jeune homme, suivi de Brise-Fer, partit brusquement, au galop de son cheval.

 

Cependant un bûcheron, caché dans la forêt, avait été secrètement témoin du combat. Il avait entendu les propos échangés, il avait vu disparaître au loin le vaillant jeune homme avec son fidèle et terrible compagnon, aussi l'idée lui vint de se faire passer pour le vainqueur du monstre et d'épouser la fille du Roi.

Il se rend auprès de la bête qu'il trouve gisante, met les sept têtes sur son âne, à la place des fagots dont il l'avait chargé, et prend le chemin de la ville que suivait déjà la princesse. Il arrive bientôt près d'elle, et tandis qu'elle frémit d'horreur à la vue des têtes coupées, le bûcheron levant sur elle sa hache s'écrie d'une voix féroce:

- Si vous ne venez pas avec moi, si vous ne dites pas à votre père et à tout le peuple que c'est moi qui ait tué la Bête à Sept Têtes, c'en est fait de votre vie !

 

La princesse, épouvantée, s'en vint donc vers son père et présenta le bûcheron comme étant son sauveur. En témoignage de sa victoire, celui-ci montra du reste les sept têtes de la Bête. Le peuple fit de grandes réjouissances. De son côté le Roi donna d'immenses richesses au bûcheron et avec des larmes de bonheur il lui dit:

- J'ai promis ma fille à celui qui la délivrerait du monstre et, suivant mes promesses, je te la donne en mariage.

 

Mais la princesse n'oubliait pas son sauveur, et forcée de dissimuler par crainte du méchant bûcheron, elle cherchait à gagner du temps jusqu'au retour du valeureux jeune homme. Sous divers prétextes, elle remettait son mariage de jour en jour, de mois en mois. Le faux vainqueur faisait entendre partout ses plaintes et ses récriminations. Indigné qu'on l'accusât d'oublier sa parole, le Roi finit par éclater en reproche contre sa fille et fixa lui-même la date définitive des épousailles. à force de délais la princesse avait gagné une année entière et le jour fixé était précisément celui où son libérateur devait revenir. Toutefois, ignorant l'heure à laquelle il serait de retour, elle redoutait qu'il n'arriva trop tard pour déjouer la ruse infernale du bûcheron. De sorte qu'elle supplia son père de lui accorder encore un jour de répit. Malgré ses prières et ses pleurs le Roi ne voulut accorder ni un jour ni une heure de plus.

 

Les préparatifs des noces furent magnifiques.

Au jour dit, avant de se rendre à l'église, le Roi fit préparer la table pour un grand repas dans la plus belle salle de son château.

Pendant que cela se passait, le vainqueur de la Bête, fidèle à sa parole, revenait de bon matin dans la Grande Ville du Roi, qu'il trouva tout entière enguirlandée de fleurs et pleine du bruit des fêtes et des carillons.

Il entre dans une auberge, débride son cheval et demande à son hôte:

- Pourquoi la ville, que j'ai quittée tendue de deuil, est-elle aujourd'hui toute enguirlandée de fleurs? Pourquoi ces fêtes et ces réjouissances? Et pourquoi les cloches sonnent-elles des carillons?

- De quel pays venez-vous donc que vous ne connaissez pas le bonheur de la Ville? répondit l'hôte. C'est aujourd'hui que la fille du Roi épouse le bûcheron qui a tué la Bête à Sept Têtes. En ce moment, dans son château, le Roi fait servir un repas magnifique et tout le peuple attend le cortège pour se rendre à l'église.

 

Sans paraître aucunement surpris, le jeune homme s'attable dans l'auberge et invite tous les gens qui se trouvaient là, disant bien haut: « Nous allons goûter au festin du Roi... Brise-Fer! Va chercher le plus beau rôti sur la table du château ! »

Le chien s'élance, pénètre dans la salle du banquet, saute sur le plus beau rôti et l'apporte à son maître sans que personne s'en aperçoive.

- Brise-Fer, nous n'avons pas de pain pour manger le rôti, va chercher le plus beau pain sur la table du Roi!

Le chien part comme la première fois, prend le plus beau pain et l'apporte à son maître.

- Brise-Fer, dit-il encore, nous n'avons pas de dessert. Va chercher le plus beau gâteau de la table.

Mais cette fois les valets l'ayant aperçu, fermèrent soigneusement les portes du château.

Tous ceux qui se trouvaient dans l'auberge prirent donc part au repas de noce; et quand ils eurent fini, le jeune homme dit en riant: « Eh bien! Brise-Fer, allons voir ce qu'ils font là-bas ! »

 

Et il se dirigea vers le château du Roi.

Il en trouva toutes les portes fermées; il y entra cependant, car à coup de pattes Brise-Fer fit sauter les verrous, les gonds et les serrures. Il arrive ainsi dans la salle du festin au moment où tout le monde se levait pour former le cortège des noces. Alors la princesse, transportée de joie, l'entraîne aussitôt vers son père:

- Mon père, s'écrie-t-elle, voilà celui à qui je dois la vie!

C'est lui qui a tué la Bête à Sept Têtes! Ce méchant bûcheron m'a menacée de mort pour me faire dire qu'il était le vainqueur du monstre, le libérateur du royaume et le mien.

Mais je jure que voilà mon sauveur!"

 

Il se fit un grand mouvement dans la foule; les gens qui étaient là ne savaient que penser.

Alors le bûcheron payant d'audaces fit apporter les sept têtes de la Bête qu'on avait conservées dans le château:

- Sire le Roi, dit-il, je vous ai remis moi-même il y a un an ce témoignage de ma victoire: il n'a pas été inutile, je le vois, de le conserver soigneusement, car tout le monde aujourd'hui peut juger du mensonge et de l'imposture de cet étranger.

- Ordonnez qu'on ouvre les sept bouches de la Bête, répondit le jeune homme, et qu'on regarde si les langues s'y trouvent.

 

Le Roi ordonna qu'on ouvrît les sept bouches de la Bête et les langues ne s'y trouvèrent pas.

à ce moment le jeune homme tira de sa pochette un mouchoir de toile fine merveilleusement brodé:

- Reconnaissez-vous ce mouchoir? dit-il à la princesse.

- Oui, je le reconnais! C'est celui que je vous ai confié pour y mettre les sept langues de la Bête.

- Et je le reconnais aussi, dit le Roi. Ma chère fille, c'est moi qui te l'ai donné.

- Eh bien! Prononcez votre sentence, ajouta le jeune homme ; et il déplia le mouchoir où l'on vit les sept langues de la Bête.

 

Le méchant bûcheron se trouva confondu; aussitôt il fut pendu au bruit des imprécations de la foule. Et la princesse épousa son sauveur.

Au bout de quelques jours, comme les jeunes époux se promenaient ensemble dans leur jardin, ils arrivèrent à un endroit d'où l'on apercevait un grand château tout noir; mais si noir! si noir qu'il faisait peur! les fenêtres étaient noires, noires les portes, noirs les murs, tout y était noir.

- Quel est donc ce grand château? demanda le marié.

- C'est un château dont on ne sort jamais une fois qu'on y est entré, répondit la fille du Roi.

 

Le lendemain, profitant d'une courte absence de sa femme, il partit tout seul, à l'aventure, et par curiosité s'en alla visiter le château noir. Il trouve le pont-levis baissé, les portes ouvertes, il entre. Il parcourt les corridors et finit par pénétrer dans une grande salle, où au fond d'une immense cheminée flambait un bon feu.

Autour de la cheminée il y avait des gens assis sur des chaises et qui dormaient profondément. En raison de l'épaisseur des murs il faisait frais dans la salle, une chaise était libre devant le feu, le jeune homme s'y installa et se chauffa avec plaisir. Tout en se chauffant il fut surpris de voir que le bois ne paraissait pas se consumer et que, bien qu'il y eut de grandes flammes, le foyer ne portait trace ni d'un charbon ni d'un grain de cendre.

Ce prodige l'intriguait au plus haut point lorsqu'une porte s'ouvrit doucement. Voilà qu'une petite vieille arrive qui paraît avoir au moins quatre-vingts ans. A la main elle tient une baguette. Toute tremblante, toute tremblotante, elle s'avance, la petite vieille.

Sa voix chevrote en disant: « Ah! Qu'ou fait fre, mon petit moncieu ! »

Il répondit:

- Si tu as froid, la vieille, chauffe-toi! Chauffe-toi la vieille !

- « Où faut-t'-u qu'i passe ? »

- Passe ou tu voudras, la vieille ! Passe où tu voudras !

La vieille passe par derrière lui et frappe à l'épaule avec sa baguette. Aussitôt il s'endormit profondément sur sa chaise, comme tous les gens qui étaient dans la salle.

 

Juste à ce moment là, dans son pays, son père, se promenant dans le jardin où était planté le laurier à trois feuilles, s'aperçut que l'une des feuilles était fanée.

- Hélas ! s'écria le vieillard, pénétré de douleur, mon fils est en grand danger de mort! Si je n'étais si vieux j'irais lui porter secours! Mais que puis-je faire à mon âge ?

- Mon père, répondit le second des fils, j'irai moi-même le secourir. Je pars, je vais dans la grande ville du Roi; je vous ramènerai mon frère, à moins qu'une autre feuille de laurier ne se fane, car alors je serais en grand péril, ou qu'elle ne tombe, car je serai mort.

Ceci dit, il prend son sabre, monte sur son cheval, et suivi de Mâche-Fer, il part pour la Grande Ville du Roi.

 

Lorsqu'il y fut arrivé, il s'en alla tout droit au château, ou sa belle-sour le prit pour son mari, car ils se ressemblaient au point qu'on ne pouvait les distinguer.

- Vous avez demeuré bien longtemps, lui dit-elle, et j'étais impatiente de vous revoir.

Le jeune homme n'osa pas la détromper et ils se promenèrent familièrement dans le jardin du Roi.

- Quel est donc ce grand château noir qu'on voit dans la campagne ? demanda-t-il.

- Vous me l'avez déjà demandé, répondit-elle, et je vous ai déjà dit que c'est un château d'où l'on ne sort jamais une fois qu'on y est entré.

Le jeune homme eut aussitôt l'idée que son frère avait dût le visiter et qu'il y était peut-être prisonnier.

 

Quelques instants plus tard, pendant que sa belle-sour ne le voyait pas, il part tout seul et se dirige vers le château. Il y entre, parcourt les appartements et finit par pénétrer dans la grande salle des dormeurs. Il essaie vainement de réveiller son frère, et quoi qu'il fasse, il ne peut tirer ni les uns ni les autres de leur profond sommeil.

Songeant à ce qu'il pourrait bien tenter pour leur venir en aide, il s'assied sur une chaise devant le feu.

Une porte s'ouvre doucement et voilà encore la vieille qui arrive une baguette à la main.

- « Ah! Qu'ou fait fre, mon petit moncieu ! »

- Si tu as froid, la vieille chauffe-toi! Chauffe-toi la vieille !

- « Où faut-t'-u qu'i passe ? »

- Passe où tu voudras, la vieille! Passe où tu voudras.

Elle passe derrière lui et le frappe à l'épaule avec sa baguette.

Aussitôt il s'endormit profondément.

 

Dans le jardin de son père la deuxième feuille du laurier se fana.

Alors le dernier des trois fils prit son sabre, monta sur son cheval, et suivi de Va-Comme-Le-Vent partit pour la Grande Ville du Roi.

 

Lorsqu'il arriva vers sa belle-sour, elle le prit aussi pour son mari ; le jeune homme n'osa pas la détromper tout de suite, et ils se promenèrent familièrement dans le jardin.

- Quel est donc ce grand château noir? demanda-t-il.

- C'est la troisième fois que vous me le demandez, répondit-elle. Ne le savez-vous pas encore ? C'est un château d'où l'on ne sort jamais une fois qu'on y est entré.

 

Il eut aussitôt l'idée que ses frères y étaient peut-être prisonniers. Aussi, dès que la fille du roi l'eut quitté, il se dirigea vers le château. Mais il n'oublia ni de prendre son sabre ni de se faire suivre de Brise- Fer, de Mâche-Fer, et de Va-Comme-Le-Vent. Il franchit l'entrée, parcourt les appartements, pénètre dans la grande salle où étaient ses deux frères et tous les dormeurs, essaie inutilement de les tirer de leur profond sommeil, enfin songeant à ce qu'il pourrait bien tenter pour les secourir, il tire son sabre, s'assied sur une chaise le dos au feu, met son sabre entre ses jambes, et fait coucher ses trois chiens autour de lui.

Une porte s'ouvre doucement et voilà la vieille qui arrive, sa baguette à la main.

- « Ah! Qu'ou fait fre, mon petit moncieu ! »

- Si tu as froid, la vieille, chauffe-toi! Chauffe-toi la vieille !

- « Où faut-t'-u qu'i passe ? »

- Passe devant, la vieille! Cria-t-il de toute sa force, passe devant!

Elle essayait de passer par derrière.

Il commanda: "Brise-Fer, Mâche-Fer, Va-Comme-le-Vent! Prenez la vieille avec les dents! Et jetez-la au feu!"

Les chiens se levèrent avec des grognements terribles.

 

- « Non, non, -dit-elle,- i va passer devant. Ous voïez, i passe devant. »

- Réveille mes frères, la vieille! Réveille mes frères!

- « Héla! Héla! i va les déveyer; Mais ou faut les y freter le cou, anvé que-le graisse, qu'est dans cou pot, qu'est pendu ou soliveaux. Tournez-vous et ous le vouérez, quand ou l'aurez vu ous le dépendrez." »

Il refusa de tourner le dos:

- Tu l'as pendu, la vieille ! Tu le dépendras!

Elle ne voulait pas le dépendre.

Alors il commanda: « Brise-Fer, Mâche-Fer, Va-Comme-le-Vent ! Prenez la vieille avec les dents ! Et jetez-là au feu ! »

 

- « Non, non - dit-elle, - i les frete. Ous voyez, i les frete ! »

Près d'être dévorée, la vieille frotte le cou des deux frères avec l'onguent qui était dans le pot, et aussitôt ils s'éveillèrent comme d'un profond sommeil. Ensuite ils s'empressèrent tous les trois de frotter les autres dormeurs qui, poussant de grands soupirs, revinrent de leur enchantement.

Dès qu'ils furent tous délivrés, ils amassèrent un gros tas de bois, firent un immense "feu-figot" et jetèrent la vieille au milieu.

- Chauffe-toi la vieille ! Criaient-ils en dansant en rond, chauffe-toi !

 

Quand la vieille fut brûlée, les bûches enchantées se consumèrent dans la cheminée, et chacun s'en alla.

L'aîné des trois frères revint auprès de sa femme au château du Roi, et les deux frères cadets, étant retournés dans leur pays, virent, en arrivant chez leur père, que les feuilles du laurier à trois branches avaient complètement reverdi.

 


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